Les Fléaux du XVIII ème et XIX ème Siècle
Dans un article du Salut Public de 1931 Petrus Sambardier se livre à une réflexion philosophique sur la vigne en écrivant :
« C’est sans doute l’une des marques de la grande noblesse de la vigne que l’incroyable multiplicité de fléaux qui du ciel fondent sur elle, empoisonnant la brume qu’elle respire, ou, la nuit, sortent du sol pour l »assassiner. Faut-il que l’arbre planté par Noé soit précieux pour que toutes les forces mauvaises des nues de l’air et des enfers se disputent le tour de l’accabler. Et faut-il que la vigne soit un arbre utile à l’humanité pour que, depuis le déluge, l’homme, sans se décourager, le dispute aux orages, aux gelées, aux insectes, aux champignons, aux brouillards qui de Janvier à Septembre se succèdent à l’attaque contre le cep, les feuilles et les grappes ».
Pour commencer, les habitants de Sainte-Foy-lès-Lyon ont eu un terrible hiver de 1709 suivie d’une « chereté » inouïe des produits. Toutes les vignes avaient gelé «par le pied » ainsi que tous les noyers et arbres fruitiers, ce qui causa une horrible famine. Dans une paroisse voisine le peuple dut se nourrir avec l’herbe des champs et manger du pain de fougère. La « pierre de la famine » placée dans la cour de la maison du N° 24 de la rue du Neyrard rappelle cet évènement.
On parlait aussi de la sécheresse exceptionnelle de 1573. Il n’avait pas plu de fin Mars à mi Août. Des raisins étaient déjà mûrs à la St Jean (24 Juin) et on commença à vendanger le 15 Août.
A partir de 1823 les ravages de la pyrale préoccupent les propriétaires. Il s’agit d’un petit papillon de nuit qui apparaît en été, pond des centaines d’œufs d’où sortent des minuscules chenilles qui tissent des réseaux de fils autour des feuilles. En 1836 et 1838 des récoltes entières sont détruites avant que Benoît Raclet, de Romanèche ne mette au point en 1841 la technique de l’échaudage des pieds de vigne avec de l’eau bouillante.
Dans les années qui suivent 1841 un champignon, l’oïdium, provoque de gros dégâts sur la végétation de la vigne. Il s’agit d’un désastre tel qu’il entraîne l’abandon de vignerons qui vont émigrer hors de France. Ce n’est qu’à partir de 1858 qu’on trouve le remède, le traitement au souffre. En 1846 apparaît un insecte nuisible, la cochylis, appelé couramment teigne de la vigne dont le papillon pond des œufs qui donnent naissance à des chenilles s’attaquant aux feuilles et aux grappes. Les moyens de lutte ne sont pas vraiment trouvés car on parle encore de cet insecte à la fin du siècle.
En 1880, alors que le phylloxera dont on parlera plus loin, est en train de ravager les vignobles du Midi de la France, le mildew, francisé en mildiou, venu d’Amérique, s’attaque à la vigne. Le vignoble de Sainte-Foy-lès-Lyon n’y échappe pas. La parade est trouvée dans le Bordelais. C’est l’utilisation d’une solution dans l’eau de sulfate de cuivre et de lait de chaux, vite connue sous le nom de « bouillie bordelaise ». Elle nécessite une quantité appréciable d’eau. Est-ce là l’origine de nombreux petits bâtiments en pisé souvent appelés « loges » dispersés dans les vignes de Sainte-Foy-lès-Lyon, utilisés non seulement pour le stockage des outils mais aussi pour récolter l’eau du toit et l’amener dans une boutasse permettant de préparer la bouillie sur place sans être obligé de la transporter depuis le village.
Ce sont les usines de produits chimiques J. Randu et Cie à St Fons qui fournissent le sulfate de cuivre. Pour comble de malheur une nouvelle maladie apparaît presque en même temps que le mildiou, le black-rot, lui aussi venu d’Amérique. C’est un champignon qui attaque les feuilles et dessèche les grains. Le meilleur traitement qu’on lui trouve est la bouillie bordelaise. Ce black-rot va faire parler de lui à Sainte-Foy-lès-Lyon pendant quelques dizaines d’années.
Venant du ciel aussi, le grêle, fléau imprévisible, terreur du vigneron qui voit sa récolte détruite en quelques minutes. Antonin Guinand, propriétaire du Château de Bramafam à Sainte-Foy-lès-Lyon et gros producteur de vin, président du syndicat des agriculteurs et viticulteurs de la région de St Genis Laval, président de la Société anonyme du Tramway de Sainte-Foy-lès-Lyon (T.S.F.), joue un rôle important dans la mise en place d’une organisation de fusées paragrêle.
Dans un colloque international sur ce sujet il rappelle que dès le XVIe siècle les italiens connaissaient les effets des tirs d’artillerie sur les nuages. On le constate lors des batailles de Solferino, Marengo, Dresde, Eylau etc. En Suisse, en Septembre 1888 dans un exercice de tir au canon en montagne, les brouillards furent dissipés en cinq minutes mais la pluie tomba toute la journée…. Un illustre professeur italien, Bombicci, écrivait en 1880 un manuel appelé « De l’art de foudroyer l’orage avant le désastre ».
A Sainte-Foy il est donc mis en place une organisation de lutte par fusées paragrêle qui va fonctionner jusque vers 1960 avec plusieurs postes de tir.
Dernier fléau de Sainte-Foy-lès-Lyon qui lui encore vient du ciel, les étourneaux. Se sont-ils multipliés au cours des années ? Toujours est-il qu’une des raisons de la disparition finale de la vigne à Sainte-Foy-lès-Lyon vers les années 1970 est due au découragement des vignerons devant les dégâts provoqués par les attaques massives des étourneaux.
Le mot de la fin revient à P. Batillat qui dit dans son traité de la vigne écrit en 1846 : « le plus terrible des fléaux écrase les malheureux vigneron est le fisc …. » Il constate qu’aucune occasion, aucun prétexte de frapper le vin n’a échappé à la prévoyance et à la sagacité de la législation fiscale. Il cite seize sortes d’impôts qui frappent le vin de la production à la consommation.
Le Phylloxera
Après la victoire sur la pyrale et l’oïdium, le vignoble local connaît à nouveau la prospérité ; les rendements moyens sont de 20 à 25 hectolitres à l’hectare. On connaît de très bonnes années comme celle de 1858, l’année dite « de la Comète ».
C’est en 1873 qu’apparaît dans le Sud du département « le phylloxera vastatrix » qui fait des ravages dans le Midi depuis 1863. C’est un hémiptère, insecte équipé de quatre ailes transparentes, qui se transporte facilement grâce au vent.
Son cycle reproductif est complexe. Il pond dans les fissures des sarments des œufs d’hiver d’où naissent au printemps des pucerons qui vont s’enfermer dans des galles à la surface des feuilles. Là, ces pucerons pondent chacun de 500 à 600 œufs qui vont donner des pucerons qui, à leur tour, vont pondre des œufs, ceci à raison de 4 à 5 générations pendant l’été. A la fin de l’été, une partie des pucerons va descendre dans la terre et attaquer les racines et en sucer la sève, une autre partie va se transformer en nymphe puis en insecte ailé. On a pu calculer qu’un seul insecte peut donner naissance à 250 ou 300 millions de descendants. Il en résulte une prolifération foudroyante de l’espèce.
Sur la vigne, les conséquences sont les suivantes :
- la première année, le cep résiste assez bien ;
- la deuxième année, il s’affaiblit, les grumes mûrissent mal ;
- la troisième année, les racines ont été tellement attaquées que les feuilles se dessèchent et que les ceps périssent.
Un arrêté préfectoral du 23 Juin 1874 impose la déclaration immédiate et l’arrachage des ceps attaqués. On essaye toutes sortes de traitements miracles, l’utilisation d’engrais potassiques pour renforcer la santé du cep, l’échaudage, l’utilisation de sable, de sel marin, de bave d’escargot, de pétrole, de goudron, l’arrosage à l’urine de cheval, de mouton, de vache, d’homme.
Un instituteur du Beaujolais conduit ses élèves en rang dans les vignes voisines à chaque récréation et les prie d’arroser les ceps … Un seul procédé semble donner des résultats : c’est l’utilisation préconisée par le Baron Thénard du sulfure de carbone que l’on introduit dans le sol autour des pieds au moyen de pal-injecteurs (genre de grandes seringues) fabriqués par Gastine ou Vermorel. Des champs d’expérience pour ce genre de traitement sont organisés à Saint-Germain au Mont d’or, Villié-Morgon et Ampuis.
Mais la progression du vignoble malade est impressionnante : 8 % en 1879 ; 22 % en 1880 ; 51 % en 1882 ; 62 % en 1883.
Des subventions sont données par l’état pour l’achat de sulfure de carbone par les viticulteurs à condition qu’ils s’organisent en syndicat de défense, ce que font 8 propriétaires de Sainte-Foy-lès-Lyon en 1881, représentés par M. Morel, Président, M. Guinand, Secrétaire et M. Bros, Trésorier.
Pour l’instant, il ne s’agit que d’essais sur des surfaces limitées. En 1885, vingt-deux propriétaires sont inscrits au syndicat. Le sulfure de carbone provient de la Fabrique Jules Deiss, Odet et Cie à La Mouche et de la société des Sulfures de carbone du Centre aussi installée à La Mouche.
Malgré les subventions, le traitement au sulfure de carbone est coûteux et les résultats sont décevants. Le traitement prolonge la vie de la vigne de quelques années, mais ne la guérit pas.
Une autre méthode de lutte consiste à utiliser des cépages américains connus depuis quelques années et réputés résister au phylloxera dont certains portent les noms devenus célèbres de Othello, Jacquez, Noah, Clinton, Riparia, Vialla, Rupestris, York Madeira, Solonis, etc. Dans le Languedoc, on les a utilisés avec succès en direct (non greffés) avec l’avantage de tripler la production, ou en les greffant avec des cépages français.
Dès ce moment, s’engage la compétition entre « Sulfuristes » et « Américanistes ». Le vin obtenu avec des cépages américains en direct est médiocre, amer et sent la punaise. Gnafron dit que le vit sent « le pissat de renard ».
La Société de Viticulture du Rhône crée des pépinières de cépages américains à Albigny et à Brignais. Après de nombreux essais de croisements, les hybrides régionaux Gaillard 2 (ou Noah noir) et Seibel 1 000 sont les plus utilisés en direct.
Comme porte-greffes, on a retenu le Riparia et le Vialla qui sont greffés en Gamay noir à jus blanc, le cépage traditionnel de la région lyonnaise. Il reste à s’initier à la technique de la greffe. Au début, on fait appel à des greffeurs languedociens. En Novembre 1886, la Chaire d’Agriculture du Rhône, installée à Chatillon d’Azergue, annonce au Maire de Sainte-Foy-lès-Lyon son intention de créer une école de Greffage à Sainte-Foy-lès-Lyon et lui demande de désigner un responsable.
C’est Jean-Claude Jusseaud, horticulteur pépiniériste rue du Neyrard qui accepte d’en prendre la direction et de choisir les moniteurs greffeurs qui seront chargés de la formation des vignerons. J.C. Jusseaud avait d’ailleurs pris l’initiative dès 1878 de produire des plants de Gamay greffés sur Vialla. Une photo le représente dans son jardin au milieu de ses ouvriers en train de greffer. Il semble toutefois que la mise en route de l’école de Greffage de Sainte-Foy-lès-Lyon soit lente à se mettre en place car une affiche de la Chaire départementale d’Agriculture n’annonce son ouverture que pour le 12 Janvier 1890, c’est-à-dire trois bonnes années après.
Pour encourager la reconstitution du vignoble, la loi du 1er Décembre 1887 exempte toutes les nouvelles vignes de l’impôt foncier pendant 4 ans.
La majorité des propriétaires plantent de la vigne greffée en Gamay mais, dans le but de rattraper les productions perdues, certains vignerons préfèrent les plants directs à forte productivité, de sorte que, dès ce moment-là, Sainte-Foy-lès-Lyon ne pourra plus globalement vanter la qualité de son vin.
Autre moyen de compenser la perte de production, une loi de 1884 autorise la détaxe du sucre, mesure qui, jusque-là, était réservée à relever le degré du vin dans les mauvaises années. A Sainte-Foy-lès-Lyon, on utilise pas loin de 6 tonnes de sucre par an pour fabriquer des « vins de sucre » en améliorant les vins de deuxième qualité et la piquette.
Parallèlement, pour compenser le déficit d’une production nationale devenue insuffisante, l’Etat a baissé les droits de douane dès 1882. Les importations d’Espagne et d’Italie doublent à partir de 1888. La baisse des tarifs du PLM favorise la montée sur Paris des vins du Languedoc et d’Algérie.
La situation est la suivante à Sainte-Foy-lès-Lyon en 1900 : le phylloxera a détruit la totalité de l’ancien vignoble. On en a reconstitué la moitié, soit environ 165 hectares avec une production moyenne de 4 000 hectolitres par an (au lieu de 8 000). Mais il y a surproduction dans le département du Rhône. Avant le phylloxera, on produisait 1 million d’hectolitres. Or, les récoltes de 1896 à 1902 sont supérieures à 1,5 million. Ceci est dû à l’augmentation des rendements, 40 à 50 hectolitres à l’hectare, contre 25 hectolitres avant, et à la production des « vins de sucre ». Les caves débordent ; les prix s’effondrent. Malgré toutes sortes de mesures : distribution de vin aux soldats, abaissement des taxes et des octrois, on n’arrive pas à consommer la production.
C’est de ces difficultés successives – maladies de la vigne, puis mévente – que datent à Sainte-Foy-lès-Lyon l’abandon de la moitié du vignoble, l’évolution vers les cultures maraîchères et fruitières et l’installation, aux dépens du vignoble, d’établissements religieux et de propriétés bourgeoises avec « château et parc » attirés sans doute par des prix de terrains avantageux.
On peut citer en 1880 la maison Ricard, rue Gensoul, en 1882 le château Blancard (mairie actuelle) et le château Plasson (Montriant). En 1894, l’hôpital. En 1895, la maison des Sœurs Missionnaires d’Océanie, rue du Signal. En 1896, la maison Bourdillon. En 1899, la maison Gisclon (Roux). En 1900, la maison Athénor. En 1903, le Séminaire Sainte-Irénée, etc.
C’est en raison de cette double évolution vers les cultures fruitières exploitées par quelques solides familles paysannes et vers les propriétés bourgeoises que Sainte-Foy ne devient pas une banlieue classique de grande ville avec ses quartiers de petites maisons pour familles modestes.
Ce ne sera que dans les années 1950-1970 qu’apparaîtront les grandes cités résidentielles, le Roule à La Mulatière, les Provinces et la Gravière à Sainte-Foy-lès-Lyon.